dimanche 26 mai 2013

Le monde (pas si) merveilleux de la télévision


Parmi les nombreux rêves qui m'animent depuis l'enfance, il y a (en vrac) :

- écrire un livre. Mais pas n'importe quel livre, entendons-nous bien. Un livre qui deviendrait un best-seller, acclamé par la critique ET par le public, un livre qui ferait de moi "une plume qui s'envole parmi les étoiles" dans 20 Minutes et "la déflagration littéraire qu'on attendait" dans les Inrocks, un livre pour lequel je signerais des dédicaces à la pelle au Salon du Livre sous les vivats de la foule en délire ("Pour Jean-Daniel, affectueusement"). Et puis accessoirement, un livre qui me permettrait d'exprimer toute l'étendue de ma sensibilité si particulière, à fleur de peau. J'en ai déjà les larmes aux yeux.
Tout ça viendra un jour, je l'espère. Quand précisément, c'est une autre question...

- autre rêve : arriver à manger tout le chocolat des BN sans casser le biscuit. Mais étant donné que j'y arrive depuis longtemps maintenant, on peut considérer que ce rêve n'est plus à l'ordre du jour.

- faire partie du public d'une émission télé. Pourquoi ? Je ne saurais l'expliquer. Sûrement la tentation de passer de l'autre côté du poste, et de voir en vrai ceux qu'on ne connaît que par le biais d'un écran. Or ce rêve est devenu réalité, puisque vendredi j'ai assisté au tournage de La Nouvelle Edition de Canal +.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'émission, c'est un programme à la cool sur l'actualité, avec des rubriques politiques et culturelles :


L'équipe de la Nouvelle Edition


 Le plateau, avec ses chaleureuses tables en demi-cercle


Il faut savoir que la Nouvelle Edition s'appelait avant l'Edition spéciale. C'était mon émission préférée à l'époque du lycée, où je partais en retard aux cours de l'après-midi exprès pour ne pas louper la chronique hilarante de Chris Esquerre sur les journaux que personne ne lit, véritable chef d'oeuvre de l'humour absurde :




Quelle joie quand je voyais débarquer Chris sur le plateau avec son éternelle chemise noire et son air flegmatique ! C'était l'assurance de beaux fous rires !

Malheureusement, il est parti ensuite faire ses chroniques au Grand Journal, donc je n'allais pas le voir en allant à la Nouvelle Edition. Mais si vous aimez son humour, je vous recommande son spectacle au Grand Point Virgule qui dure jusque fin juin, vous rigolerez bien !

La différence entre la nouvelle et l'ancienne version tient aussi au changement de présentateur (Ali Baddou a remplacé Bruce Toussaint), et de générique. Pour ma part je trouve le nouveau beaucoup trop fadasse par rapport à celui d'avant.


 L'ancien générique avait la classe !


Trêve de digressions... Si Chris Esquerre ne serait assurément pas de la partie, Babeth Lemoine et Ariel Wizman, d'autres chroniqueurs, allaient l'être, et cette pensée réchauffait mon petit coeur débordant d'amour. 

Ma soeur et moi nous sommes rendues aux studios de Boulogne sans nous décourager par le temps - une pluie battante. Après un trajet perturbé (on a réalisé qu'on n'allait pas où il fallait avant de trouver la bonne direction), on arrive à 16h comme on nous avait dit de le faire. Mais là surprise : on est toutes seules ! On s'attendait à ce que d'autres gens attendent déjà devant le studio, mais pas un chat sur place. Un mec de la sécurité nous dit d'attendre dehors, alors on fait le pied de grue en s'abritant comme on peut sous un renfoncement. Là, deux autres filles qui viennent aussi pour la Nouvelle Edition arrivent et on commence à discuter avec elles. "C'est quoi ce temps wesh", lance l'une d'elles, passablement agacée par la pluie. L'autre semble plus réservée.


Les Studios oranges de Boulogne - on se gelait les miches devant la porte


Quelques minutes plus tard, deux agents de la sécurité se pointent : "Vous avez bien vos cartes d'identité ? Sinon vous rentrez pas", nous informent-ils aimablement avec leurs têtes de portes de prisons. Ma soeur et moi les avons, mais pas nos deux comparses. "On peut vous montrer nos cahiers de correspondance ? Y a notre blaze dessus", hasarde la plus téméraire des deux avec sa gouaille devenue familière, mais le type ne veut rien entendre. Quand je lui demande pourquoi c'est si important de les avoir, sa réponse est sans appel : "C'est la règle. Pas de carte, on rentre pas." Face à une explication aussi bien argumentée, et à l'air implacable du zig, les deux filles finissent par s'éloigner sous leur parapluie. Avec ma soeur on se regarde : en moins de deux, on a perdu nos copines. Quel univers impitoyable. On se croirait dans Dallas (l'argent en moins).

Les gens finissent par arriver au compte-gouttes, emmitouflés dans leurs manteaux. On fait la queue comme on nous le dit, puis on nous autorise enfin à entrer dans le bâtiment, grâce au précieux sésame que sont nos cartes d'identité.

Une fois à l'intérieur, un autre agent de la sécurité nous fait des blagues relou au vestiaire ("Ca y est vous vous êtes déshabillées ?" - petit rire pervers). Je dois dire que les agents de sécurité des studios de Boulogne ne brillent pas par leur subtilité. Ensuite, il nous présente le lieu avec un ton emphatique : "tout ça, c'est votre espace". Je regarde la pièce aux allures d'usine désaffectée, dépourvue du moindre endroit pour s'asseoir. Ok. On est censées s'extasier ? Il y a quand même une table avec deux quatre-quarts prédécoupés et des bouteilles de Coca à notre égard, délicate attention. C'est à partir de là que commence une attente interminable avant de pouvoir entrer sur le plateau, c'est-à-dire s'asseoir. En tout on a poireauté pendant 1h30 ! Donc si vous comptez assister à une émission, n'écoutez pas ce qu'on vous dit, n'arrivez pas méga en avance. Tout ce que vous y gagnerez, c'est un bon mal de dos.

Pendant l'attente, on discute avec d'autres gens. Le quatre-quart fait des miettes par terre. Je remarque que le public est constitué à 80% de femmes, très jeunes dans l'ensemble. Il y a un vieux qui est venu tout seul et reste dans son coin. J'essaie de me représenter sa vie : retraité, peut-être veuf, il assiste à toutes les émissions qui existent pour passer le temps. Il me devient sympathique.

De temps en temps, un membre connu de l'émission passe devant nous sans nous regarder. J'ai eu du mal à reconnaître Ali Baddou sans son costard et son maquillage. Saluons le talent des artistes de l'ombre qui les embellissent pour l'antenne ! Seul Ariel Wizman est arrivé déjà sapé avec soin, dans le style dandy qu'on lui connaît. Babeth est en jean-baskets. Une fois sur le plateau, elle portera une robe de soirée bleue et des talons aiguilles, métamorphosée.


Ali Baddou qui tape la pose en mode beau gosse


Enfin, la fille qui gère le public s'approche, avec la démarche claudicante que lui font ses bottes à talons. Ca va être bon pour nous faire entrer sur le plateau. Mais d'abord, chacun passe par le détecteur à métaux. J'ai l'impression d'être dans un aéroport : "Levez les bras madame. Ok tournez-vous... C'est bon allez-y".

Le plateau est beaucoup plus beau que la salle dans laquelle on a attendu. Il brille de mille feux, nous faisant oublier notre dos douloureux. On nous place. Avec ma soeur on hérite de la dernière rangée, la seule qui dispose d'un dossier - yesss ! Pendant le direct, les autres se tordront dans tous les sens pour étirer leur dos endolori, mais nous on restera pépère. En plus on a une bonne vue sur le plateau. Aux endroits où le public est très visible, c'est-à-dire derrière Ali Baddou, ils ont placé les blondes du groupe. Mon "ami" retraité, pourtant arrivé sur le plateau en premier, a été remisé au fond. Ou comment illustrer le diktat des apparences...

Le chauffeur de salle arrive et nous explique notre rôle pendant l'émission : en gros applaudir et crier quand il nous le demande comme des moutons. Mais il nous fait rire donc ça passe mieux. Et puis, on savait qu'on venait pour ça. Il demande si tout le monde connaît l'émission. Un type dit que non, et il lui explique le concept. Gros moment de déception quand il nous apprend le nom de l'invitée... "Oh noooon", s'est-on écriées en coeur avec ma soeur en l'apprenant. Mais si : c'était Frigide Barjot. "C'est qui ?", demande le mec qui connaissait déjà pas l'émission. On le regarde, consternés. La seule explication possible, c'est qu'il vit dans une grotte. Un ange passe (non, pas Frigide)

Et la voilà qui déboule dans son sweat rose à capuche. De maigres applaudissements l'accueillent en comparaison de ceux qui ont accompagnés l'arrivée d'Ali Baddou, David Abiker, Babeth Lemoine et Ariel Wizman. Un coup de poudre sur le nez, et elle s'installe. On est placées de telle sorte qu'elle est dos à nous, ce qui n'est pas plus mal.


Elle avait ses boucles d'oreilles ridicules "un papa-une maman" !


Le direct commence. On applaudit sagement, et on arrête quand il faut. Ali Baddou résume le programme de l'émission (pas très folichon), puis se tourne vers Frigide Barjot. Pendant l'interview, on voit qu'il cherche à comprendre pourquoi les manifs anti-mariages gay continuent alors que la loi a été promulguée. Frigide Barjot défend l'idée selon laquelle les antis sont plus motivés que jamais, à commencer par elle (là on veut bien la croire), mais on voit bien que le combat s'essouffle et qu'elle refuse de l'admettre. D'ailleurs, elle ne "sait pas" si elle fera partie de la manif de dimanche. Ali Baddou montre son incrédulité quant à cette réponse (elle est quand même censée être l'organisatrice principale des manifs), mais on n'en saura pas plus. Puis c'est parti pour la pub. Déjà ?! En fait l'émission dure exceptionnellement 40mn pendant le festival de Cannes, donc on en est déjà à la moitié. On aura passé plus de temps à attendre que l'émission commence qu'à y assister, me dis-je dans ma barbe (de trois jours, faut pas exagérer non plus).

L'émission reprend et Baddou accueille deux autres invités aussi nuls que Frigide B. : le PDG d'Air France et un autre vieux. Ils mènent tous les deux un combat de taille, qui est de faire en sorte qu'on puisse déclarer la naissance de son enfant dans son village même si celui-ci ne dispose pas d'une maternité. Ali Baddou et ses chroniqueurs ne se font pas fait prier pour les charrier sur ce drôle de projet, et nous on s'ennuie sec pendant qu'ils partent dans des explications vaseuses. Vraiment, on n'a pas été gâtées niveau invités à combat perdu d'avance. Heureusement que les interventions d'Ariel Wizman apportent une touche d'humour au débat ! A la fin, Babeth fait une mini-chronique, puis c'est au tour de David Abiker, et l'émission se termine. Ultra rapide ! Certains chroniqueurs partent directement, je n'ai donc pas droit à la photo tant espérée avec Ariel Wizman... Dans la queue pour récupérer nos affaires, on croise une Babeth souriante, et ledit Ariel qui s'en va avec l'air pressé, au téléphone. 

Ma soeur est ressortie de l'émission complètement blasée ("c'était nul, on a trop attendu, et t'as vu les invités ?"), et je comprends son point de vue, mais j'ai pour ma part trouvé intéressant de voir comment fonctionnaient les coulisses d'une émission. Ce qui est paradoxal, c'est qu'il n'y a quasiment pas de contact avec le public, qui est complètement laissé de côté : on nous fait attendre pendant 1h30 sans nous informer de rien dans une pièce sans chaises alors que certaines personnes sont âgées. Faire partie du public, c'est faire l'expérience de devenir un pantin, un pion insignifiant et docile. On vous met à un endroit, et on vous appelle uniquement quand on a besoin de vous pour le décor. Il n'y a que le chauffeur de salle, dont c'est le métier, qui nous a vraiment parlé. Et après tout ce temps à attendre, on nous dit d'avoir l'air super enthousiastes devant la caméra ("si vous avez mal au dos, ne le montrez pas surtout !" La solution serait peut-être de faire en sorte que les gens soient mieux assis...). Mais tout le monde joue le jeu et applaudit à tout rompre des gens qui les ignoraient un peu plus tôt quand ils passaient devant eux. C'est peut-être ça qu'on appelle la magie de la télé... La magie des apparences.

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